Conçue pour ce lieu, cette installation entrelace des pièces issues de deux projets qui on été menés indépendamment par les artistes mais qui se rejoignent dans leur approche des territoires dont ils ont fait leur sujet. Si Gilles Saussier et Louis Matton ont une démarche photographique que l’on pourrait qualifier d’anthropologique, l’exposition de leurs projets prend la forme d’un objet plastique expérimental, évolutif qui n’épuise pas la totalité du propos mais se présente comme une réflexion à partager avec le spectateur.

Juillet-septembre 2017
Gilles Saussier a entamé depuis plusieurs années un projet sur le territoire de l’ouest parisien qu’il explore au plus près en suivant une ligne droite imaginaire qui prolonge artificiellement l’axe historique des Champs Elysées. On en retrouvera le tracé sur la série de cartes projetée dans la salle vidéo. L’installation ne présente pas la totalité du projet mais confronte des éléments prélevés au début et à la fin du parcours qui l’a mené de Paris à la Manche sur 180 kilomètres. Les compositions d’objets, d’images, de textes et de documents que l’on retrouve aussi bien dans l’espace de La Forme que dans les photographies elles-mêmes peuvent être perçues comme une mise en abyme d’une œuvre qui prend ici l’aspect d’une enquête en train de se faire, de se penser. On remarquera que la ligne imaginaire se prolonge dans une canne à pèche qui est pour Gilles Saussier un objet important du début, à l’Île de Chatou, de cette aventure ou encore dans la complexité d’un jeu de corde dont le sens de la figure choisie et présentée est laissé à l’appréciation du spectateur.

Le tableau de classe est dans cette installation l’outil de mise en scène d’un état des lieux. Il est autant le fil conducteur de la réflexion qui se construit que la ligne qui en est le prétexte et qui rencontre les territoires, leurs histoires et leurs habitants dans une tentative de géographie différente qui reste à enseigner. Car, au travers de ce périple, il s’agit bien d’une critique d’un certain principe d’aménagement du territoire qui fait fi du vécu et de l’imaginaire de ceux qui y vivent. Ce n’est pas sans une certaine ironie que l’artiste a découvert que le bout de la ligne s’échoue étonnamment sur une plage des basses falaises au-dessus du Havre qui est le lieu d’une ancienne décharge dont les résidus sont toujours visibles. La mer s’est emparée de certains de ces déchets, les a patinés et leur a procuré une beauté paradoxale que l’on retrouve dans les objets collectés sur la plage par Gilles Saussier. Par contre, lorsqu’elle découpe des tranches de falaises où s’accumulent des strates de déchets, la mer semble sculpter d’absurdes monuments à notre incurie.









Gilles Saussier a choisi d’inviter un jeune artiste, diplômé de l’Ecole de Photographie d’Arles, Louis Matton, pour tisser, entre leurs deux projets, un lien qui est autant dans la forme que dans le fond. L’exposition s’ouvre ainsi sur les Bottes du Baron Haussmann, photographie d’une performance de Louis Matton qui rappelle les origines violentes de la pensée urbanistique. La statue symbolise également le point de départ centralisé de tout aménagement du territoire dans notre pays quand les déchets rejetés par la mer en sont le résultat. La grande pièce photographique de Louis Matton nous confronte à une autre actualité mais au même questionnement. Elle se présente comme une tentative poétique de saisir la réalité d’une occupation spontanée au travers des traces, des outils, des constructions qui parsèment le quotidien en perpétuel réinvention des habitants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Prise à la nuit chaque photographie d’un de ces objets autonomes est autant un témoin de ce qui disparaît qu’un appel à l’imaginaire du vécu qui l’a inventé et en a fait usage.
Cette exposition est une invitation à une autre approche de la représentation du paysage où l’action de l’artiste « s’attache à rendre le devenir et l’imaginaire du territoire à ceux qui l’occupent plutôt qu’à ceux qui l’exploitent » (Gilles Saussier).
